KERMEN Yves, Auguste, Marie
Né le 20 décembre 1910 à Bulat-Pestivien (Côtes-du-Nord, Côtes d'Armor), fusillé le 17 avril 1942 au Mont-Valérien en Suresnes (Seine, Haut-de-Seine), tourneur, FTP, responsable de la CGT et du Parti communiste.
Ma très grande chérie,
Je te laisse ce dernier écrit en souvenir. Lorsque je t'ai vu tout à l'heure, je savais que je
devais être exécuté à 17h aujourd'hui. Sache ma chérie que malgré que j'ai été fort devant
toi, que tu ne m'étais pas indifférente, je t'aimais beaucoup et tu comprendras mieux
tout mon sacrifice. Je tombe pour la plus noble des causes entre toutes, je te laisse encore
jeune sans époux mais je te laisse dans l'honneur. Pardonne-moi d'avoir donné ma vie
pour l'indépendance de mon pays, pour la liberté et l'indépendance de tous les peuples,
car ce n'était pas le chauvinisme qui me poussait mais étant Français, mon devoir était
de lutter pour la libération de mes compatriotes et pour leur bonheur dans la justice et le
droit. Je meurs courageux et confi ant dans l'avenir.J'ai fait mon devoir, toi aussi il faut être courageuse.
Mes chers petits,
La 1re partie de la lettre s'adresse à vous comme à votre maman. Pardonnez-moi vous aussi
de vous avoir laissé sans papa, mais vous aussi je vous laisse dans l'honneur. Soyez toujours
du côté de la justice et du bien des peuples. Toute ma vie j'ai lutté pour ses deux choses
et je meurs pour elles. Mes chéris, je vous aimais beaucoup. J'aurais voulu vivre pour
vous voir grandir. J'aurais été heureux de vous voir une dernière fois. Hélas ! La mort..., je ne vous verrai plus, ma pensée va vers vous et jusqu'au dernier moment je penseraià vous, à votre maman, à ma vieille mère, à mes frères et soeurs, à toute la famille, à mes
amis mais aussi et surtout à la noble cause pour laquelle j'ai donné ma vie. Mes chéris,
faites tout pour votre maman qui a été si bonne pour vous. Ne lui faites jamais de peine,
consolez-la, consolez-vous mutuellement du terrible deuil qui vous frappe. Remplacez-moi
auprès d'elle,soyez toujours bons pour elle. Je compte sur vous. Soyez aussi reconnaissants
pour vos oncles et tantes pour ce qu'ils ont fait pour vous. Plus tard si vous pouvez, récompensez-les, puisque je ne serai pas là pour le faire et ne faillissez pas à votre devoir.
Ma chère maman,
Quant à toi, pardonne-moi de t’endeuiller d’un nouveau fils que tu auras donné pour
la France. Je sais que tu me pardonneras car je meurs dans l’honneur. Ça te fait trois
fils morts pour la France. Adieu vieille maman, adieu. Durant ta vie, fais pour ma chère
femme et mes enfants tout ce qui sera possible.
Mes chers frères et soeurs,
Je vous frappe d'un deuil cruel, l'honneur pour lequel je tombe sera une compensation.
Je vous remercie beaucoup pour ce que vous avez fait pour moi. Je compte sur vous pour
aider ma femme jusqu'à ce que mes enfants soient grands et puissent gagner leur vie. Mes
chers frères et soeurs c'est une charge que je vous laisse, mais n'ai-je pas donné ma vie pour
l'humanité toute entière ? Je suis sûr que vous ne faillirez pas et que vous comprendrez
mon angoisse pour l'avenir de ma femme et de mes petits. Soyez bons pour ma femme. Il
faudra lui dire que c'est ma dernière volonté. Qu'en sortant de prison elle aille passer
quelques mois parmi vous. Il ne faut pas qu'elle reste seule, si elle retravaille à Paris
après son séjour parmi vous qu'elle aille vivre quelques mois chez Jeanne Lefèvre ou bien
chez ma soeur Joséphine. Je pense qu'elle pourrait le faire pour moi.
Donnez le dernier bonjour à mes amis, à tous mes amis. Je compte aussi sur eux pour
aider ma femme dans son malheur. J'ai vu ma femme tout à l'heure mais il ne faut lui apprendre ma mort qu'à sa sortie
de prison. Il faut tout faire pour la faire sortir. Elle n'est pour rien dans mon affaire et
elle n'est même pas au courant de ce que je faisais.
Quand tu auras connaissance de ces deux feuilles je ne serai plus. Adieu ma chère
femme, mes enfants chéris, ma vieille maman, frères et soeur et amis. Adieu... Adieu et
pardon pour la peine que je vous fais.
Je vous embrasse tous bien fort et pour toujours.
Soyez tous dignes de moi.
Il faudra remettre ceci à ma femme à sa sortie de prison.